Sur Tronçais et dans l'Allier, en dix ans, peut-on parler d'une expansion des populations de cerf ?
Timothée de Ferrières : En 2006, devant la recrudescence des dégâts sur les jeunes pousses de chêne, l'ONF a commandé une étude au Cemagref* afin de disposer d'une expertise sur la capacité d'accueil de la population des cerfs à Tronçais. Le Cemagref a confirmé une augmentation de la population. Grâce à des plans de chasse plus soutenus, la population a baissé.
Aujourd'hui les cerfs ne compromettent plus significativement le renouvellement de la forêt. L'ONF a donc proposé à l’autorité administrative, pour la saison 2012 / 2013, des plans de chasse moins élevés. Cette proposition a été retenue.
Cette brève analyse sur quelques années montre qu'il faut en permanence ajuster les plans de chasse. Depuis 1986, nous suivons le même protocole pour évaluer la population des cerfs. Cette constance sur plusieurs décennies permet d'avoir une vision de la dynamique des populations et d'adapter les plans de chasse en conséquence.
* Le Cemagref est devenu l’Irstea en 2012.
Quels sont les moyens que vous mettez en place pour réguler les populations ?
T. de F. : En l’absence de prédateurs naturels, c’est la chasse qui régule la population de cerfs à Tronçais tant au niveau quantitatif que qualitatif. Le maintien de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique est fragile, c'est pourquoi le niveau des populations est reconsidéré périodiquement en fonction des évolutions de la forêt et de l’agriculture alentour.
Une population trop élevée mettrait en péril le renouvellement de la forêt, sa biodiversité, et à terme la population elle-même.
Pour maîtriser une population il faut également déterminer quels animaux choisir : si l'on souhaite réduire une population, les femelles et les jeunes cerfs seront les plus ciblés.
Cette volonté de réduire à ce point la population est-elle consécutive aux nouvelles pratiques sylvicoles avec des obligations de rendement plus importants ?

T. de F. : L’objectif de la forêt n’a pas changé : il s’agit depuis des siècles de produire des grands chênes.
Les techniques actuelles, avec notamment les cloisonnements sylvicoles (ouvertures de layons dans les régénérations naturelles), offrent plus de surfaces aux cerfs pour se déplacer et se nourrir. Il faut se rappeler que cette espèce est originellement adaptée aux milieux ouverts enherbés. Ce grand herbivore n'a trouvé refuge dans les forêts qu'après les grandes évolutions de l'humanité qui l'a poussé à s'installer dans la forêt.
Le forestier a toujours veillé à maintenir un équilibre avec les herbivores. Si du XVIIe au XIXe siècle, les forestiers ont du réguler le pâturage des animaux domestiques en forêt, aujourd'hui ce sont les populations de cerfs qui doivent être maîtrisées.
L'étude du Cemagref a montré que les cerfs étaient plus présents dans les parties ouvertes de la forêt car l'arrivée de la lumière sur le sol fait exploser la végétation et offre plus de nourriture. Cela correspond aux endroits où la forêt est en phase de régénération et où les jeunes pousses et semis sont les plus fragiles.
Les forestiers tiennent à ce que la forêt continue à héberger des cerfs, mais pas au point de devoir engrillager les régénérations. L’ONF a déjà dû enclore des parcelles dans les années 1990. Cette technique n’est pas une bonne solution pour plusieurs raisons. Cela ne correspond pas à notre vision de la forêt, qui est ouverte à la circulation des animaux et des hommes. De plus, des animaux arrivent souvent à entrer dans les enclos de plusieurs hectares, qui constituent alors des havres de tranquillité pour eux. Ils y restent à demeure, ce qui est contraire à l’objectif recherché ! Enfin, cela représente un coût que l’ONF n’a pas les moyens de supporter.
La surpopulation des cerfs n'est pas exclusivement un problème forestier. Les agriculteurs riverains subissent eux aussi des dégâts. Les accidents liés aux collisions avec les animaux augmentent proportionnellement aux populations. Une population dense est plus facilement sujette aux épidémies, qui pour certaines peuvent se transmettre au cheptel bovin. Enfin, la biodiversité peut être directement menacée notamment en ce qui concerne la flore ou les insectes.
Des chasseurs et des protecteurs de la nature vous reprochent de continuer à autoriser le tir d’un nombre de cervidés bien supérieur à l’accroissement prévisible de la population ?
T. de F. : Rappelons tout d’abord que le plan de chasse accordé par le préfet comporte un minimum et un maximum. Comme chaque année, le minimum du plan de chasse doit être réalisé. L’ONF demande un plan de chasse tel que l’évolution prévisible de la population aille dans la direction souhaitée, qui peut être une stabilisation, une hausse, ou une baisse, en fonction du différentiel entre la pression des animaux et la capacité d’accueil du milieu. Il est donc indispensable de disposer d’outils pour suivre la population.
Il est impossible de connaître exactement le nombre de cerfs présents sur un territoire. En revanche, nous pouvons mesurer la dynamique de la population (tendance à l’augmentation ou à la diminution) et son impact sur les jeunes chênes. Toutefois, ces observations n’ont du sens que sur plusieurs années.
Nous disposons d'indicateurs : le plus connu est l'indice nocturne d'abondance appelé également "comptage aux phares". Ces résultats, combinés à d’autres indicateurs (pression sur la flore, observations directes au cours de l’hiver) traduisent le niveau de la population de cervidés sur le massif. Les chasseurs, les agriculteurs riverains et les associations sont invités chaque année à participer aux opérations de "comptage aux phares". Les résultats sont communiqués et commentés lors de réunions.
Afin de mieux faire comprendre les enjeux, nous allons mettre en place des enclos-exclos (petites zones grillagées d'environ 400 m²) qui ont une vocation pédagogique de témoin du « temps perdu » dans les régénérations (voir photos).
Indices nocturnes pour le massif cynégétique de Tronçais entre 1986 et 2012

Le graphique ci-dessus représente l’évolution de l’indice nocturne d'abondance de 1986 à 2012. La courbe rouge est le même indice, lissé sur 5 ans. Les mauvaises conditions météo lors du comptage de 2008 expliquent ce point singulier.
Il y a eu une première période de surpopulation au début des années 1990. Des plans de chasse plus importants ont permis de revenir autour de 400 animaux vus. Une deuxième période de surpopulation a eu lieu dans les années 2000, avec plus de 490 animaux vus de 2003 à 2010, et un pic en 2009 (762 animaux vus).
La population est en 2012 à un niveau globalement acceptable, mais cet indice ne met pas en évidence la répartition des animaux.
Sur Tronçais, la population des cerfs est mal répartie : la forêt pourrait accueillir plus de cerfs dans le centre et l'Est du massif, mais les animaux se concentrent sur l'Ouest, du fait de la présence de zones refuge (zones forestières et agricoles riveraines peu chassées).
Aussi, pourquoi vouloir à tout prix éliminer les quelques individus qui tentent de coloniser les autres massifs du département ?

T. de F. : Le préfet a validé le schéma de gestion cynégétique départemental 2012-2018, sur proposition de la Fédération départementale des chasseurs, qui ne prévoit pas de favoriser l'expansion du cerf dans le reste de l'Allier. L'ONF est d'accord avec cette position car il y a dans le reste du département beaucoup de boqueteaux qui pourraient servir de zones refuge à une population de grands cervidés.
Une situation qui pourrait alors devenir vite ingérable quand on voit comme il est difficile de maîtriser des populations de cerfs, même sur un grand massif, dès qu’il y a une zone refuge. La notion d’"expansion du cerf" concerne d’ailleurs plutôt les biches, car de nombreux mâles viennent, après le brame, déjà y prendre leurs quartiers d'hiver !
> Le saviez-vous ?
- Le cerf est présent à Tronçais grâce aux chasseurs et aux forestiers. Les cerfs ont été réintroduits au début XXe siècle (1903)
- La loi française précise : « Le développement durable des forêts implique un équilibre sylvo-cynégétique harmonieux permettant la régénération des peuplements forestiers dans des conditions économiques satisfaisantes pour le propriétaire. Cet équilibre est atteint notamment par l'application du plan de chasse défini aux articles L. 425-1 à L. 425-4 du Code de l'environnement, complété par les dispositions des articles L. 427-4 à L. 427-7 dudit code » (Art. L. 1er de la Loi d'orientation sur la forêt 2001)
- Plan de chasse : comme pour les forêts privées, les demandes de plan de chasse en forêt domaniale sont transmises à la Fédération des chasseurs, puis à la Direction départementale des territoires qui représente le préfet. La Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS), composée de représentants de l’administration (dont l'ONF), de la Fédération des chasseurs, de la Chambre d’agriculture, de forestiers, d’associations de protection de l’environnement et de titulaires de droits de chasse, propose au préfet des orientations et mesures générales pour la bonne gestion de l'espèce, et fixe un maximum ainsi qu'un minimum d'animaux à prélever pour les espèces soumises à un plan de chasse.